Économie Laisser tomber la Grèce hier, c'était impensable ; aujourd'hui, les eurocrates l'évoquent sans détour. Récit d'un basculement. Conciliabule entre Jean-Claude Juncker à droite, ministre luxembourgeois des Finances, et Wolfgang Schäuble, son homologue allemand, le 9 février. © AP/Sipa/Yves Logghe Il n'y a pas si longtemps, les Européens ne reconnaissaient qu'à voix basse et sous le sceau de l'anonymat la baisse de leur confiance vis-à-vis de la Grèce. Désormais, c'est sans complexe que Jean-Claude Juncker, président de l'Eurogroupe, l'affirme "C'est exact, la confiance s'étiole." Sans complexe donc, l'Eurogroupe a repoussé à jeudi prochain la décision de principe de débloquer d'ici à la mi-mars l'aide promise de 130 milliards d'euros en échange d'un énième paquet d'austérité qui vise, non plus seulement à assainir les finances de l'État, mais aussi cette fois à relancer la compétitivité de l'économie grecque, pour s'assurer que les prêts ne seront pas versés dans un puits sans fond. En privé, les experts de l'UE reconnaissent que la succession de plans de rigueur constitue une potion particulièrement indigeste pour le peuple grec à terre. Mais c'est la seule possible, estime l'Eurogroupe, qui veut mettre fin à des décennies pendant lesquelles le pays a vécu au-dessus de ses moyens, sans créer un tissu industriel et de services compétitif. Étant dans l'impossibilité de dévaluer sa monnaie pour gagner des marchés à l'international, la Grèce n'aurait d'autre choix que de procéder à une dévaluation intérieure, en baissant salaires et retraites de façon autoritaire. Il faudra aussi remonter la productivité par salarié, la deuxième plus basse de la zone euro, après le Portugal. Salaire minimum amputé de 20 % En l'absence de François Baroin qui avait séché la réunion, les ministres ont dressé la liste des actes qu'ils attendent d'Athènes vote par le Parlement du programme d'aide avant la semaine prochaine, puis présentation par le gouvernement de projets de loi, comme celui réduisant de 20 % le salaire minimum. "Les échanges ont été parfois vifs", admet Jean-Claude Juncker. Les Européens et les créanciers de la Grèce perdent patience. En témoigne aussi cette analyse crue d'une source directement impliquée dans le sauvetage du pays "La Grèce n'a tenu ses engagements sur aucun point. Sur certaines mesures qui devraient rapidement porter leurs fruits, comme la lutte contre la fraude fiscale, on n'a rien. Si les Grecs sont sérieux sur leur programme d'ajustement, s'ils font tout ce qu'on leur demande de faire, si on réussit à la fois la restructuration de la dette détenue par le secteur privé et l'assainissement des finances, alors on évitera le défaut. Mais ça fait beaucoup de si..." Résultat, certains envisagent désormais à voix haute une sortie de la Grèce de l'euro. C'est le cas notamment des Néerlandais. "C'est vrai qu'une situation chaotique en Grèce nous ferait mal à tous, raison pour laquelle nous mettons tout en oeuvre pour garder ce pays dans la sphère de la monnaie unique. Mais en même temps, la zone euro s'est renforcée depuis un an car nous avons pris toutes les mesures pour prévenir la contagion", affirme Jan Kees de Jager. Le ministre néerlandais des Finances fait allusion notamment à la création d'une sorte de "FMI à la sauce européenne", le Mécanisme européen de stabilité, doté d'une capacité de prêt maximale initiale de 500 milliards d'euros. Les États-membres de la zone euro ont aussi mis en place des programmes sévères d'assainissement de leurs propres finances publiques et s'apprêtent à signer un nouveau traité qui inscrit dans le marbre la doctrine de la discipline budgétaire. Barbichette Mais la crispation s'explique aussi par un agenda domestique. Les Pays-Bas et la Finlande, deux pays AAA, doivent tenir compte de leurs partis populistes d'extrême droite qui ont le vent en poupe et veulent sortir la Grèce de l'euro. La crise grecque dure depuis deux ans. "Le défi était tel qu'il aurait été plus efficace dès le début d'aider davantage la Grèce. Mais il faut être deux pour ça. Et personne ne le voulait", concède un témoin-clé de toutes les réunions dédiées au maillon faible de la zone euro. À l'époque, les deux parties se tenaient par la barbichette. La zone euro savait que la Grèce avait besoin d'elle pour s'en sortir, ce qui lui permettait de réclamer plus d'efforts. La Grèce jouait sur le fait que la zone euro risquait de perdre la confiance des marchés si elle allait en faillite, ce qui lui permettait de ne pas accomplir tous ses devoirs. Désormais, ce point d'équilibre a basculé. L'Europe envisage son défaut sans frémir. La Grèce a jusqu'à jeudi prochain pour se ressaisir. Je m'abonne Tous les contenus du Point en illimité Vous lisez actuellement Le sort européen de la Grèce ne tient qu'à un fil 54 Commentaires